Au Japon, la période d’avril à juin annonce l’arrivée de la première bonite de l’année. Cette espèce de poisson est principalement connue pour produire de la katsuobushi, la fameuse bonite séchée qui sert de base à certains bouillons comme le dashi ou de garniture à certaines spécialités comme l’okonomiyaki. Le mois de mai s’insère en plein cœur de cette période d’abondance où les ports des préfectures de Kochi, Mie, Shizuoka et Miyagi attrapent de nombreux poissons. Les premières bonites migrent du nord du Kyushu aux côtes Sanriku, la côte est du nord de l’île principale. Plus tard, vers septembre et octobre, elles reviennent vers le sud, l’air frais ayant contraint les planctons à remonter à la surface, une aubaine pour les bonites. Ces bonites bien nourries sont plus grasses, tandis que les premières, riches en vitamines B12, B3 et en DHA et EPA (Omega 3) sont plus appréciées pour leurs bénéfices sur la santé. Le retour de la bonite marque l’occasion de revenir plus en détail sur ce produit, et notamment sur la fameuse katsuobushi, la bonite séchée à la base de la confection du dashi.
Histoire non-exhaustive de la katsuobushi
Dans le langage courant, on entend souvent parler de “spécialité culinaire”. Dans de nombreux cas néanmoins, ces mets ont subi de nombreuses transformations par le biais d’échanges culturels avant de devenir les spécialités d’un pays en particulier. C’est le cas de la sauerkraut allemande, inspirée des méthodes de fermentation chinoises, du croissant, pâtisserie d’origine autrichienne, ou du poulet tikka masala qui ne découle que de l’imagination d’un chef écossais pour détourner le curry indien. Le Japon n’est pas en reste en ce qui concerne ces questions d’origine des spécialités, le ramen notamment est repris de la soupe chinoise éponyme, d’où une certaine légitimité à s’interroger sur l’origine des katsuobushi.
Plusieurs théories entourent le lieu d’origine de la katsuobushi. Premièrement, on pense aux Maldives où une longue tradition de bonites orientales (Sarda orientalis) fermentées existe. Cette technique aurait ensuite été introduite au Japon par le biais d’Okinawa.
Deuxièmement, l’origine Ainu est aussi mise en avant par la ville de Makurazaki, pilier de la production de bonites séchées. Les aïnous, peuple autochtone du nord du Japon, auraient mis au point une technique de séchage pour préserver les poissons bonites.
Au-delà de ces considérations d’origine, la première référence à la katsuobushi connue daterait de 1513, dans un document signalant un certain tribu au clan Tanegashima. Seulement, c’est à l’ère Edo (1603-1868) que la méthode de séchage de la katsuobushi s’est réellement développée. C’est la technique d’un homme appelé Kadoya Jintaro qui a été rendue populaire à l’époque : les bonites étaient fumées pour retirer toute leur contenance en eau.
A l’occasion d’une présentation de sa méthode à Tosa, une région particulièrement sensible à la moisissure, une méthode a été mise au point pour tirer avantage de celle-ci lors du séchage des bonites. Cette nouvelle méthode, intitulée Tosa-bushi, permit aux katsuobushi de supporter une plus longue conservation et donc de plus longs voyages. Au départ secret, le procédé a ensuite été transmis dans d’autres régions, notamment dans la ville de Makurazaki au début du XVIIIème siècle et les régions de Kumano et Awa fin XVIIIème.
Parmi toutes ces régions, c’est à Makurazaki que la qualité de la katsuobushi s’est le plus améliorée. Lors de l’ère Taisho (1912-1926), les industries dédiées à la pêche et à la production de katsuobushi se sont séparées plus distinctement pour se spécialiser, résultant en l’avènement de Makurazaki comme spécialiste et figure de proue de la bonite katsuobushi.
Méthode de fabrication de la katsuobushi
Aujourd’hui, plusieurs méthodes de fabrication produisant différentes variétés de katsuobushi subsistent. On peut bouillir la bonite avant de la sécher (namari-bushi), fumer la bonite (satsuma-bushi et ara-bushi) ou encore, en laissant la moisissure faire son travail, retirer toute l’humidité de la bonite après l’étape du séchage (hon-bushi, kare-bushi, honkare-bushi, shiage-bushi). Les bonites utilisées pour confectionner les katsuobushi doivent avoir une faible teneur en gras, d’où l’utilisation des premières bonites des mois d’avril à juin.
En général, la fabrication de la katsuobushi suit les étapes suivantes. Le poisson est d’abord évidé et coupé en filets. La partie ventrale et grasse du poisson, qui ne supporte pas bien la préservation, est aussi retirée. Les filets sont ensuite mis à cuire pendant une heure à une heure et demie à frémissement, juste en dessous du point d’ébullition, avant d’être désarêtés. Ils subissent alors un long processus de fumage, de cinq à six heures, avant de profiter d’une journée de repos, pour être fumés à nouveau, le tout dans un cycle qui sera répété de huit à quinze fois selon les variétés.
Certaines variétés peuvent être vendues telles quelles mais en général, pour être considérées comme d’authentiques katsuobushi, elles suivent une dernière étape de fermentation. Les filets fumés entrent alors dans un nouveau cycle, séchés au soleil puis entreposés dans des chambres dédiées à la maturation. Ces chambres sont conçues pour préserver une haute humidité et une température avoisinant les 27 à 30 degrés pour assurer une bonne fermentation. Les filets sont recouverts d’une culture d’Aspergillus glaucus pour permettre à la bactérie Eurotium herbariorum de se développer pendant une dizaine de jours et d’obtenir une bonite séchée plus délicate et plus riche en umami. La moisissure est alors retirée, et le cycle répété jusqu’à 3 fois. En ressort un filet très rigide, semblable à un morceau de bois et pesant moins de 20% de son poids originel.
D’ordinaire, les morceaux de katsuobushi sont ensuite rabotés avec un instrument dédié, une sorte de râpe semblable à une râpe à truffes. Il est possible d’émincer de fines tranches qui seront utilisées pour garnir de nombreux plats comme l’okonomiyaki, tandis que les morceaux plus épais servent à la confection du bouillon dashi.
Vers une production locale : la bonite katsuobushi made in France
Aujourd’hui, il est difficile d’exporter la katsuobushi japonaise du fait des différences de réglementations sanitaires entre le Japon et les pays étrangers comme le Canada, la Chine ou l’ensemble de l’Union européenne. En effet, le long cycle de fumage subit par la bonite lui fait emmagasiner un certain nombre d’hydrocarbures aromatiques polycycliques, notamment des benzopyrènes qui peuvent être cancérigènes si ingérées. Pour pallier ce problème, plusieurs entreprises japonaises s’exportent pour tenter de produire de la katsuobushi dans ces pays. Ainsi, Makurazaki France a été fondée en 2013 avec pour objectif de répandre la vraie saveur du dashi en Europe.
Déjà citée précédemment, Makurazaki est une véritable figure de proue de la production de katsuobushi au Japon, et ce depuis plus de trois siècles. En posant ses valises à Concarneau, en Bretagne, Makurazaki France souhaite produire une bonite séchée la plus fidèle possible au goût de la katsuobushi japonaise. En effet, le port de Concarneau présente des conditions tout à fait similaires à celles de Makurazaki. C’est pourquoi l’association de transformation des produits de la mer de Makurazaki, conjointement avec 9 autres entreprises liées à la bonite séchée, ont décidé d’investir dans l’entreprise. Après deux ans de recherche, une méthode de fumage adaptée aux normes européennes qui respecte le plus possible le goût de l’authentique katsuobushi japonaise a enfin été découverte. Après un entraînement auprès de deux artisans japonais spécialistes de la bonite, c’est finalement en avril 2017 que Makurazaki France devient capable de produire et de vendre sa propre création. C’est ainsi que, tout en adaptant ses méthodes pour s’intégrer aux normes européennes, Makurazaki souhaite répandre l’utilisation de la katsuobushi pour en faire un ingrédient plus commun, adaptable même aux cuisines locales du monde entier.
Les flocons de katsuobushi de Makurazaki France sont disponibles sur notre boutique en ligne. Vous pouvez très bien les utiliser pour reproduire la saveur d’un véritable bouillon dashi, mais n’hésitez pas à faire preuve de créativité pour apporter une saveur umami profonde à d’autres préparations : en garniture dans des beignets salés ou en touche finale sur un plat de pâtes par exemple !