Animée par l’envie de partager avec la France les trésors culinaires de son pays d’origine, Anna Shoji, fondatrice de Yasai, cultive sur le sol français des légumes japonais soigneusement sélectionnés. Sa ferme, nichée à Ligueil en Indre-et-Loire, se distingue par son approche respectueuse de la nature et par sa spécialisation dans la culture de légumes japonais de saison. Découvrez son interview exclusive avec Umami !
Les légumes japonais d’exception, made in France
« Notre méthode agricole est largement inspirée de celle de la permaculture. Les plantations et les récoltes sont faites à la main. Nous n’utilisons pas d’engrais ni de produits chimiques, nous laissons autant que possible la nature travailler, nous offrons donc uniquement des légumes de saison, à déguster de préférence entiers, avec leur peau, leurs fanes et leurs racines. Nous espérons que nos légumes seront pour vous une source d’inspiration. »
« Tout a commencé par la volonté de faire découvrir, à la France, le meilleur des légumes japonais. Nous avons interrogé les agriculteurs les plus réputés au Japon, exploré les graines les plus prestigieuses, sélectionné les espèces les plus recherchées. C’est à l’issue de ce voyage de plusieurs semaines que nous sommes revenus en France avec une sélection de légumes correspondant à plusieurs critères : leurs qualités gustatives à l’état cru, leur facilité à s’associer à la cuisine française, leurs saveurs uniques et exceptionnelles. En partageant ces légumes avec vous, nous espérons qu’ils vous offriront un avant-goût de la richesse gastronomique et culturelle du Japon, tel que nous la connaissons. »
Pouvez-vous présenter Yasai ?
« Yasai est une petite ferme lancée il y a bientôt 9 ans à Ligueil, en Indre-et-Loire, qui produit des légumes japonais de saison, sans engrais chimiques ni pesticides. Les légumes poussent lentement, à leur rythme : on leur donne le temps de pousser naturellement, d’absorber l’énergie, les nutriments… C’est ce qui leur donne du goût et de la saveur. On essaie vraiment de mettre la qualité au centre. Des fois, ça donne des légumes pas très réguliers, aux formes imparfaites, mais c’est fidèle à la nature. Nos clients sont principalement des restaurateurs, mais je vends aussi ce que je peux aux particuliers. »
Qu’est ce qui vous a motivée à lancer cette aventure Yasai ?
Tout d’abord, j’ai grandi dans un milieu franco-japonais. Mes parents japonais n’aimaient pas trop le système et l’éducation à la japonaise. Mon père tenait un restaurant italien et ma mère dessinait sur la porcelaine un style très européen, danois, allemand, et français. Ils aimaient beaucoup la France et je passais mes vacances d’été dans un village du Pas-de-Calais. J’ai ensuite étudié dans une école franco-japonaise et j’ai eu la chance de beaucoup voyager.
Plus je voyageais, plus je me rendais compte que les fruits et légumes japonais étaient bons et qu’ils étaient nécessaires pour faire de la vraie cuisine japonaise. Il est possible de remplacer certains légumes comme le concombre ou la citrouille mais sans jamais obtenir les mêmes saveurs, et que certains étaient tout bonnement irremplaçables, comme le shoga, le myoga ou le shiso.
De plus, depuis toute petite, j’aime bien montrer les bonnes choses du Japon en France. Avant Yasai, mon travail consistait à aider des entreprises japonaises du secteur du bâtiment à se développer en Europe. J’aidais à faire le lien entre les fournisseurs, les clients, les avocats et les comptables. Les 5 dernières années de cette expérience professionnelle, j’étais en Algérie pour un projet de construction d’autoroute. Là-bas, il y avait beaucoup de légumes mais pas d’edamame ni de shiso… J’ai donc commencé à monter mon petit potager.
Ayant grandi à Tokyo avec ma grand mère, je n’étais pas une habituée du potager : je ne savais même pas qu’un concombre “poussait” ! Lorsque j’ai croqué dans le premier concombre que j’ai fait pousser, j’ai été impressionnée par sa fraîcheur et sa douceur. Au fil du temps, je passais de plus en plus de temps dans mon jardin : j’observais, j’apprenais petit à petit, j’essayais de comprendre ce qui fait qu’un légume est bon. J’aimais beaucoup mon travail de l’époque mais j’avais envie d’essayer de monter une vraie ferme.
J’avais aussi envie de partager les bonnes choses du Japon : c’est passé par les légumes car c’est ce qui manquait en France et c’était une façon de profiter de moments bucoliques et de valoriser l’artisanat japonais. L’artisanat japonais est très méticuleux et soigné, avec du “omoiyari” : j’aime travailler en pensant à l’autre, à la personne qui va manger et utiliser mes légumes, plutôt que de faire le choix de la facilité et de l’efficacité. Car chez Yasai, on n’est pas très “efficaces” en termes de productivité mais on essaie de bien faire les choses !
À partir du champ, il y a plein de choses que je peux présenter : pas seulement ma façon de cultiver mes légumes, mais aussi les manières de les conserver, les cuisiner, les manger… Nos ressources sont limitées au Japon : j’aime sensibiliser les gens à ne rien gâcher, en cuisinant toutes les parties des légumes (racines, peau, etc). La cuisine japonaise permet ça en valorisant l’entièreté des légumes. »
Comment s’est passée l’introduction des légumes japonais en France?
« Le Japon est un petit mais long pays avec de nombreux climats différents. Les légumes y poussent un peu partout. Je n’ai pas vraiment eu de grande difficulté à introduire les légumes japonais en France si ce n’est des questions d’organisation puisque je suis passée d’un petit potager de 20m2 à un champ de 2 hectares ! Donc la difficulté est surtout venue de la gestion, de la stabilisation de la production, ainsi que des démarches de qualité. Mes récoltes pouvaient être instables. Au début, j’avais de supers navets pendant une semaine, après je n’avais plus rien.
La terre et le climat dans la région que j’ai choisie sont adaptés à la culture de mes légumes. Je voulais initialement m’installer dans le sud de la France mais je me suis rendue compte que c’était une région avec de la sécheresse et beaucoup de vent, un climat trop différent de celui du Japon, où il fait généralement humide et l’eau est douce (et pas aussi calcaire que dans certaines régions de France).
En termes de choix de légumes, j’ai repris toutes les familles de légumes qui poussent déjà en France. C’est juste la façon de cultiver et les variétés qui changent. »
Qui vous aide dans l’aventure Yasai ?
« Au début j’étais toute seule mais mes voisins m’ont beaucoup aidée. Quand on dit qu’on est japonais et qu’on fait des légumes japonais, on attise forcément la curiosité ! On est 3 aujourd’hui mais j’ai des amis qui viennent souvent nous aider. J’ai beaucoup de chance ! »
Qui sont vos clients ?
« Je vends majoritairement à des restaurants (entre 90 et 95 restaurants) et une petite partie aux particuliers via des paniers saisonniers par mois ou tous les 2 mois. Notre champ est petit donc on vend quasiment tout ce qu’on récolte aux restaurants. »
Quels légumes japonais trouvez-vous les plus faciles ou au contraire les plus difficiles à cultiver en France ?
« Les saisons au Japon sont bien plus longues : la chaleur s’installe dès avril, les cerisiers fleurissent, et le climat est très doux, tandis qu’en France, il fait encore trop froid, avec des gelées possibles jusqu’à la mi-mai. Certains légumes qui nécessitent beaucoup de chaleur, comme la patate douce ou le gombo, ont du mal à pousser en France. Autre exemple : au Japon, on trouve des aubergines pendant la moitié de l’année, alors qu’en France, leur saison ne dure que 2 à 3 mois. »
Quelle a été la réaction des Français lors de vos premières ventes ?
« On travaille beaucoup avec des restaurants français tenus par des chefs japonais. Les chefs japonais connaissent évidemment bien les légumes japonais et sont donc très contents de les retrouver pour intégrer le côté Japon dans leur cuisine. Des fois ils sont tellement bien intégrés qu’on n’arrive pas à faire la différence entre les légumes japonais et les légumes français. De leur côté, les chefs français sont très curieux, ils croquent dans tous les légumes, même ceux qui ne se mangent pas crus ! (rires) Ça leur donne des inspirations très rapidement.
Chaque légume a sa propre image. Au Japon on a une façon propre de cuisiner chaque légume. Mais les chefs français n’ont aucun préjugé et font travailler leur imagination. C’est tellement différent de les manger cru ou cuit, et je trouve ça très intéressant. Par ailleurs, les chefs aiment beaucoup nos produits et m’envoient des photos de ce qu’ils ont fait (surtout que je ne peux pas me permettre d’aller souvent manger chez eux !) On entretient des relations proches et je sais quel légume envoyer à tel chef. Certains viennent très souvent nous voir au champ. »
Comment choisissez-vous les légumes à faire pousser ?
« Je choisis les légumes que j’aime et qui plaisent ! Par exemple, le goya a beaucoup d’amertume qu’il faut enlever avec le sel, donc je n’en fais pas trop car ça ne plait pas forcément beaucoup… Avec l’âge, je fais aussi de plus en plus attention au poids des légumes : avant on faisait beaucoup de radis et de choux mais les gros radis Daikon sont très longs et lourds. Quand on en a beaucoup dans un panier ça devient impossible à porter. Donc même si c’est très bon et ça a beaucoup de succès, on en fait un peu moins.
On a commencé à produire du yuzu il y a quelques années mais on en produit en quantité seulement depuis l’année dernière. On peut conserver l’écorce du yuzu au congélateur puis couper en petits morceaux pour les utiliser dans une soupe, un nabé ou un dessert. Une écorce suffit pour changer tout le goût ! »
Quels sont les légumes japonais les plus populaires ?
« Ça dépend des saisons, mais ce qu’on me demande le plus, ce sont les navets japonais ! Ils se mangent frais, comme des pommes ! Même les Français qui n’aiment pas trop les navets habituellement adorent les navets japonais, que ce soit crus, snackés, ou en salade. À ma grande surprise, le myoga est aussi très populaire ! C’est tellement rare en France, mais même ceux qui n’en ont jamais goûté m’en demandent. Franchement, je ne m’y attendais pas pour le myoga, surtout que ce n’est pas mon légume préféré (rires). »
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite découvrir les légumes japonais ?
« Au Japon, les légumes japonais se mangent souvent crus ou très légèrement cuits et sont assez faciles à cuisiner. Il n’y a pas beaucoup de plats dans lesquels les légumes sont cuits pendant longtemps. Au contraire, les légumes doivent être croquants, juteux, à manger juste avec un peu de sel. Mes conseils de dégustation sont donc très simples : coupez vos légumes et mangez-les tels quels avec un peu de miso ou un trait d’huile d’olive. Je me rends compte que certaines de mes recettes de légumes se résument à “Mettre du sel” (rires), alors qu’en France on a tendance à faire plus de préparations. »
Quelles associations de produits conseillez-vous ?
« Je conseille d’avoir chez soi au minimum les “essentiels” : sauce soja, saké, miso, mirin et dashi. Avec ça, on peut déjà faire beaucoup d’associations délicieuses ! Par exemple, en mélangeant sauce soja, dashi et un agrume, on peut faire soi-même son ponzu ! Je conseille aussi de manger le concombre ou les épinards avec une vinaigrette (“dressing”) au sésame (goma dressing). Autres produits sympas à associer : le shichimi et l’huile de sésame. »
Retrouvez tous ces produits dans notre catalogue !
Vos prochains projets ?
« J’aime cultiver les légumes mais aussi partager, montrer, manger. Parfois, il y a des journées qui passent sans que je puisse parler à personne donc j’aime bien accueillir au champ ! Comme on a pas mal de demandes de visites, on a construit une petite cabane en bois dans le jardin et on a des installations pour récolter, faire la cuisine. J’organise des visites d’ateliers ou de visites à la ferme.
Dans la continuité, je souhaite parler de l’association MURA qu’on a créée avec des amies japonaises : c’est un Village Japonais dans lequel on présente tout ce qu’on aime du Japon – avoir un petit potager, sentir les saisons, faire des ateliers de cuisine… n’hésitez pas à venir découvrir le village ! » ( https://www.muraecovillage.com/).